Côté face
d'Anne Denier
Éditeur Anne Denier
Publié le 1er mai 2011
Relié / 446 pages / 18€
Présentation de l'éditeur :
J'étais
en retard et si ce n'avait pas été le cas,jamais je n'aurais pris ce
tram et jamais je ne l'aurais rencontré. Lui. Celui qui allait détruire
ma vie en réveillant une mémoire qui sommeillait en moi et dont
j'ignorais l'existence.
Un autre côté de moi-même.
"Te séduire, t'emmener, te torturer, te violer et t'assassiner."
J'avais une vie.
Site de l'auteure - Extrait
Achat
Avis de Karen:
J'ai
rarement éprouvé autant de difficultés à chroniquer un roman que pour
Côté Face (trop d'émotions contradictoires)! Mais essayons...
Je
peux dire d'emblée que c'est un beau livre, un beau roman mais ce n'est
pas une belle histoire! C'est trop sombre et dérangeant par moment pour
l'être. Mais cela n'empêche pas ce livre d'être bourré de qualités, et
pas des moindres.
L'histoire d'abord. Un matin, une jeune fille
(et j'insiste bien sur cet anonymat et sur le fait que je ne donne pas
de prénom) de terminale tout à fait "normale" se prépare à aller au
lycée. Mais ce matin là, à cause du chien de son petit frère, elle est
en retard. Dans le tramway, elle se rend compte qu'un homme la regarde
fixement en lui souriant et ne peux s'empêcher d'en être profondément
troublé. Elle n'y repense pas plus que ça dans la journée, mais cette
nuit là elle fait d'étranges cauchemars où il apparaît et à son réveil
il devient une obsession. En prenant le tramway, elle espère le revoir,
mais à la place elle découvre scotchée à l'endroit où elle se tenait la
veille une photo d'elle avec écrit au dos un lieu et une heure de
rendez-vous. Tous ses amis la dissuadent de s'y rendre. Et s'il était un
psychopathe et un violeur? Elle n'y va pas et une part d'elle le
regrette. Dans la nuit, elle a un grave accident chez elle et se
retrouve hospitalisée. A son réveil, tout est différent, elle ne sait
plus qui elle est et récupère même des souvenirs qui ne semblent pas
être les siens. Et puis il y a toujours ce garçon qu'elle revoit sans
cesse dans sa tête, dans ce qui semble être des souvenirs, avec un nom
surgit de nulle part: Nebel. Mais plus la jeune fille essaye de
distinguer le vrai du faux, de comprendre l'origine de ses visions, et
plus tout se complique. Et quand elle revoit "Nebel", il ne trouve rien
de mieux à lui répondre quand elle lui demande la raison de sa présence:
"Je voulais te séduire, t'emmener avc moi, te torturer, te violer et abandonner ton cadavre dans ton fossé". Une phrase bien plus lourde de sens qu'elle ne le pensait....
J'ai
rarement lu un livre aussi bien écrit. Anne Denier fait montre ici de
beaucoup de talents. Son écriture est fine, intelligente et profonde.
Tout est bien pensé. Tout est à sa place, tant dans le fond - les vers
de Goethe ou de Schiller par exemple - que dans la forme - les
répétitions de mots, d'expressions, la mise en page particulière... On
sent que derrière ce livre il y a beaucoup de travail, beaucoup de
passion et beaucoup de réflexion.
C'est aussi une histoire
profondément originale. A la lecture de la quatrième de couverture ou
encore du résumé que j'ai fait plus tôt, on pense tout de suite à une
histoire d'amour. C'est le cas bien sûr. Mais celle-ci n'a rien de
classique ou de prévisible. En fait, la quasi-totalité du roman est très
sombre et paraît très confus tout en étant très clair. On a
l'impression d'évoluer dans un cauchemar. Celui de la jeune fille, qui
peine à distinguer ses visions et ses sensations de la réalité. Son côté
pile et son côté face. Cauchemar de son passé et cauchemar de son
présent. Que vient encore renforcer l'anonymat des personnages,
l'absence de noms. Seuls trois prénoms apparaissent dans le roman: Hyla
(le nom de la jeune fille dans ses visions), Nebel et Côme (un autre
personnage important de ses visions). Tous les autres sont présentés de
façon impersonnelle (ma mère, mon père, mon frère, ma meilleure amie) ou
avec des surnoms - que j'ai beaucoup aimé d'ailleurs (Son altesse,
Monchéri-moncoeur, Quasimodo, Alter-Ecolo, N°1, N°2....).
Cette
imprécision et cette atmosphère pesante peuvent sembler parfois
déconcertantes, voire limite dérangeantes. Mais on ne peut nier que ça
rajoute vraiment de la profondeur au récit.
Et juste parce que
ce livre m'a fait frémir mais aussi sourire, voire rire (l'humour est
d'une finesse incroyable et vient toujours à point nommé), je me permet
de mettre ce petit extrait très amusant et qui me parle tout
particulièrement!
"Tartine dans une main, je pris le livre de l'autre et en découvris enfin le titre.
Une valse avec le prince.
Mais
ce titre déjà plein de romantisme sirupeux étit sans intérêt aucun,
d'ailleurs le nom de l'auteur était écrit quatre fois plus gros et en
lettres majuscules.
CARTLAND
Mais ça je le savais déjà, tous les
livres à la couverture jaune que je stockais dans un coin de ma chambre
étaient des Cartland et il devait y en avoir une centaine. Mon adorable
grand-mère me les fournissait de manière régulière. Techniquement elle
s'en débarrassait après les avoir lus, jugeant que sa petite-fille avait
grand besoin de ce genre de lecture. Bilan à chacune de ses visites,
j'en récupérais une demi-douzaine.
Je n'étais pas sûre de comprendre
ce que mamie voulait dire par "en avoir besoin" et il était heureux que
je ne sois pas diabétique pour pouvoir ingurgiter une telle quantité de
guimauve. Barbara Cartland était à la littérature ce que McDonald était à
la diététique. Facile à avaler, sans surprise, engluant le coeur et
provoquant le ramollissement cérébral. C'étaient des livres capables de
vous faire un lavage de cerveau sans avoir recours à la violence.
Je
mordis dans ma tartine et ouvris le livre. Je parcourus rapidement les
premières pages. L'héroïne était la nièce de la petite-fille de la
belle-soeur du beau-frère de la cousine par alliance de la filleule de
la reine Victoria, blonde, cultivée, parlant au moins dix langues
étrangères et elle était incoyablement cruche. Elle avait un nom
effroyablement compliqué qui rimait avec sparadrap.
J'attaquais ma
deuxième tartine en découvrant que la pauvre Sparadrap se retrouvait
fiancée par sa... par la reine à un obscur prince des Balkans.
Je sirotai mon café à petites gorgées en faisant la connaissance du baron Von Pasgentil." p. 116-117.
Et
je finirais par une interrogation: ce livre a été auto-édité, serait-ce
qu'il a été refusé par les éditeurs?!?! Incompréhensible...
Avis de Kamana
"Te séduire, t'emmener, te torturer, te violer et t'assassiner."
Cette
phrase m'a énormément troublée rien qu'en lisant le résumé. Je peux
même avouer qu'elle m'a donné des sueurs froides et que du coup, je n'ai
pas ouvert le livre tout de suite. Mais d'un autre côté, elle
m'interpellait, titillait ma curiosité aussi... sentiment contradictoire
donc.
Il est impossible de rester indifférent face à cette
histoire et surtout face au récit. Si la couverture n'est d'aucune aide,
le synopsis nous indique qu'une rencontre tragique, douloureuse
bouleversera la vie de...
De qui ? Impossible à savoir. Notre
héroïne parle à la première personne mais ne se présente pas. Pas de
prénom, pas d'âge précis même si on le situerait vers 17-18 ans. En
fait, mis à part trois personnages nous n'aurons les prénoms de personne
d'autre. Nous croisons la route de la "meilleure amie", de "son altesse
royale" mais aussi de "monchéri-moncoeur", de Quasimodo, de N°1 et N°2.
Cela peut sembler troublant narré comme ça mais en réalité c'est
extrêmement bien amené.
Montpellier, un tram, un garçon, un
regard et la vie de notre narratrice basculera dans le cauchemar. Ne
vous attendez à aucune douceur, aucun conte de fée. Notre amie sombrera
dans les méandres d'un passé glauque, cruel tout en vivant un quotidien
des plus déchirants, perturbants, sanglants. Et le tout est tout
bonnement captivant, envoûtant. Au cœur de toute cette tyrannie, de ce
sadisme, l'auteure pose des passages comiques, des pensées ou des
situations très drôles et légères. Un exercice périlleux mais
superbement bien réussi. L'organisation des chapitres est troublante de
part sa chronologie pour certains mais on se fait vite au rythme qui
justement vient ajouter au suspense.
Anne Denier est un chef
d'orchestre sombrement talentueux. Une plume dont j'ai aimé chaque mot,
chaque phrase, chaque tournure. On suit le fil et d'un coup on se
retrouve face à une coupure, un gouffre d'incompréhension. Nous sommes
obligés de continuer la lecture pour comprendre. D'ailleurs même si à
certains moments, nous percevons l'histoire dans son intégralité, nous
n'aurons toutes les clés qu'en finissant le livre.
Je ne vous ai
pas aidé, n'est-ce pas ? Je ne vous ai pas aiguillé plus que la
quatrième de couverture, avouez-le ? Et bien, je pense que ce livre ne
se raconte pas, il se lit simplement. Certains n'aimeront peut-être pas
le style, ou alors la tournure que prend l'histoire, je peux comprendre,
personnellement j'ai été séduite de bout en bout. Entre rires, pleurs,
angoisses, passages traumatisants, à aucun moment on ne peut rester de
marbre face à l'histoire de cette adolescente.
"Côté Face" est un roman étrangement ténébreux, inquiétant parfois, beau souvent, tragique mais à lire, oui à lire !